la prison
bonjour,
Aujourd'hui vendredi, je reviens de mon travail à la prison, en effet j'interviens dans une maison d'arrêt, je fais des groupes de parole.
alors ce que je voulais dire c'est que la prison ,ce n'est pas ce qu'on croit!
en effet, on imagine des choses bizarres sur l'univers carcéral: violence, viols, corruption...tout cela est vrai pour certains, mais en réalité, c'est un univers complexe, avec ses lois propres, et surtout son langage!
par exemple, les détenus inventent des codes entre eux et ceux ci sont repris pour diverses raisons par les surveillants: "garde la pêche" est un exemple frappant.
les détenus se disaient cela assez souvent comme marque de solidarité entre arrivants. puis, les surveillants ont repris l'expression de deux manières: d'une part par provocation envers les détenus (après une dispute ou un corps à corps un peu brutal), et d'autre part entre eux pour se remonter le moral après une agression.
ainsi, l'expression est passée de l'autre côté pour ainsi dire, et les détenus ne l'utilisent presque plus.
les surveillants parlent parfois de leur travail avec des expressions utilisées par les détenus concernant leur peine. Un surveillant me racontait qu'il lui restait encore 3 ans à faire avant de pouvoir être muté, il disait "je suis à mi peine", étrange, non ?
J'ai l'impression que les médias ont aussi eu recours à cette sorte de "collage langagier" pour décrire des faits de société. ils ont souvent parlé des tournantes.
Pour moi, utiliser ce terme c'est le vider de son sens, une tournante (d'abord, je crois utiliser pour traduire les gang bang des films X) est avant tout un viol collectif d'une violence inimaginable, dire tournante, c'est banaliser l'acte.
ce message pour dire que les mots sont importants, ils génèrent des représentations, ils provoquent des émotions et souvent permettent de définir un groupe d'appartenance. Les gamins des cités comme on les nomme souvent, font des tournantes, mais les filles qui en sont les victimes ont subi un viol collectif, c'est pas pareil !
Pour en revenir à la prison, les mots y sont le dernier espace de liberté pour les détenus, ils peuvent parler. Pour l'écrit c'est différent puisque les courriers sont lus au minimum par trois personnes avant de franchir la porte de sortie. S'approprier leur langage, c'est les priver de liberté, mais aussi devenir comme eux.
J'attends vos avis avec impatience!!!
ps; la prochaine fois je vous raconterai l'histoire des doubles barreaux...
